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Chez Absentminded, pour ceux qui ne sont pas toujours là...
27 octobre 2009

Yuksek - Extraball

 

"Paris, c'est toi la Butte"

- Partie I -

 

Je m'appelle Marie-Angélique, mais mes amies m'appellent Angie. Je dis amies car je suis dans un pensionnat catholique exclusivement féminin. A part mon petit frère de 8 ans, Charles-Eudes, je n'ai jamais côtoyé de garçon. Mais je ne suis pas sûre qu'on puisse compter Charles-Eudes comme un garçon, il est trop stupide.

Alors oui, c'est sûr, mes amies, elles, ont déjà discuté avec des garçons. Certaines, dont Charlotte, en ont même déjà embrassés ! Il paraît qu'un garçon, ça a le goût d'un chewing gum à la menthe, avec un arrière goût de glace à la vanille. Enfin, d'après Charlotte. Mais elle passe tellement de temps à raconter des mensonges que je ne suis pas sûre qu'elle sache encore elle-même ce qui est vrai et ce qui ne l'est pas.

Vous devez vous demander pourquoi, au vingt-et-unième siècle, mes parents ont tenu à m'envoyer dans un pensionnat conservateur du seixième arrondissement de Paris. C'est pourtant simple : il n'existe pas, en France, et même dans le dix-septième arrondissement, plus conservateur que mes parents. Non seulement je n'ai pas le droit de porter de pantalon, mais je dois toujours avoir la raie bien au milieu de la tête, les socquettes bien blanches, et le collier de perle autour du cou. Pas question de chewing gum ou de lecteur mp3 chez moi, et je ne connais que bien peu de choses d'internet. Je ne vous parle même pas de la télé ! Pour ce qui est des cérémonies religieuses, je les connais toutes, je n'en ai jamais manqué aucune. J'ai été baptisée, j'ai fait ma petite et ferai bientôt ma grande communion. Pareil pour mon frère.

Mais surtout, dans ma maison, le sexe ce n'est pas avant le mariage, je n'ai jamais parlé de moyens de contraception ni même de menstruation avec Mère, et pour nous, une fille qui a recours à l'avortement est pire qu'une putain : elle ne mérite pas de vivre.

Bref, vous pouvez imaginer le contexte. Alors imaginez ma réaction un soir d'hiver où, rentrant plus tôt de l'école car l'un de mes professeurs était absent, j'ai surpris Père et Mère dans une position pour le moins suggestive, Père nu comme un ver et Mère vêtue de cuir et armée d'un fouet ! J'ai claqué la porte en voyant les yeux horrifiés de Mère se poser sur moi, la bouche ouverte en un "O" rouge carmin, la main aux longs ongles rubis portée à la joue, et suis partie de la maison en courant, mon sac d'école toujours sur le dos.

J'ai dévalé les escaliers, suis passée devant la loge de Mme Michelet, la gardienne, à la vitesse de la lumière  et suis sortie dans la rue avant même que ma mère n'ait eu le temps de terminer son "Marie-Angéliiiiiiiique !!"

Arrivée dans la rue, j'ai continué à courir. Je croisais des passants qui s'arrêtaient pour me laisser la place et me regarder courir. J'ai remonté le Boulevard des Batignolles, dépassé la place de Clichy au galop, ai pris le raccourci par la rue de Douai, et ai déboulé sur le Boulevard de Clichy, où j'ai ralenti ma course pour finalement me mettre à marcher. J'ai continué sur le Boulevard, m'éloignant toujours de la maison, ai traversé la rue, et soudain sont apparues devant moi les affiches : " Antoine Bernhart - L'enfer des enfers ". Sur celles-ci, un homme montant un chien, lui-même étant par-dessus une femme, nue, les yeux agrandis de terreur.

Je détournais les yeux de ces affiches pour regarder autour de moi : Boulevard de Clichy, une rue où je n'étais presque jamais passée, mes parents s'arrangeant toujours pour l'éviter lors de la traditionnelle promenade dominicale. Mais je la connaissais de réputation. J'étais devant le musée de l'érotisme. Près du Moulin Rouge. Un tel déploiement de sexe, de luxure, de désir à l'état brut... sous mes yeux de puritaine. C'en est trop.

Reprenant ma course folle, je dépassais la station de métro Pigalle, tournais à gauche juste avant celle d'Anvers, rue de Steinkerque, la suivit jusqu'à, enfin, trouver mon havre de paix. Je venais d'arriver en bas de Montmartre.

Je repassais au pas, et marchais doucement en entrant dans le parc surmonté de la butte. J'avais le souffle court, mes collants étaient trempés, mes cheveux dégoulinaient... Je me suis assise sur l'un des bancs, ai ramené mes jambes sous moi - comme je le fais si souvent quand je suis seule dans ma chambre - et ai posé mon menton sur ma main. J'ai appelé Christelle, car elle habite juste à côté de la butte. Je lui ai dit de venir, vite, de me retrouver devant le marchand de ballons. Enfin, à son emplacement habituel. Comprenant qu'il y avait urgence, elle raccrochait en me disant qu'elle partirait dans l'instant.

En l'attendant, je contemplais la petite vie de Montmartre. Je voyais les touristes qui, détrempés, prenaient quelques photos, pour que leur expédition à la butte n'aie pas été vaine. Je voyais les parisiennes plus ou moins bien habillées qui se trémoussaient en pépiant, leurs ongles trop longs parfaitement manucurés rivalisant de leur brillance avec les strass du téléphone, leur brushing bien à l'abri sous leur parapluie.

"Angie!" a crié Christelle de sa voix de crécelle. De sous son parapluie, elle me faisait de grands signes de la main, puis a couru me rejoindre et s'est assise à mes côtés sur le banc. "Qu'est-ce qu'il y a, Angie?" me demanda-t-elle, concernée.

Son parapluie nous couvrant toutes les deux, elle me le tendit et sortit de son sac un paquet de Marlboro, puis en extirpa un briquet rouge assorti au paquet de cigarettes, et s'en alluma une de ses mains expertes. Elle souffla la fumée au dehors, me regarda, et porta la cigarette à ses lèvres. Je me saisis de son poignet avant que le filtre ne touche à nouveau les lèvres glossées. Elle me regarda et leva un sourcil parfaitement épilé.

"Je sais que tu détestes ça, excuse-moi mais j'en ai trop besoin d'une" me dit-elle. Je tenais toujours fermement son poignet de ma main gauche. A l'aide de ma main droite, je saisis la cigarette de Christelle et la portai à mes lèvres. Je tirais une longue bouffée, l'aspirais comme il se doit, la gardais longtemps dans mes poumons, puis la recrachais doucement. "Waouh!" fit Christelle. "Je ne savais pas que tu savais fumer" me confia-t-elle.

Je lui avouais en riant que c'était ma première fois, puis sentit mes traits qui se tendaient à nouveau et me dépêchais de prendre une nouvelle bouffée maladroite.

Puis, enfin, je racontais à Christelle ce dont j'avais été témoin en rentrant chez moi. J'avais choisi de le raconter à elle, et pas à une autre, car je savais que Christelle était déjà allée assez loin avec les garçons. C'était la moins prude d'entre nous, et la plus âgée, et elle s'avèrait souvent de bons conseils. Pas choquée pour un sou, elle me dit s'être déjà rendue compte que ses parents s'adonnaient à ce genre de pratiques en fouillant dans le placard de sa mère à la recherche de "fringues pour sortir". Elle m'expliqua que dans un couple marié depuis longtemps, il peut arriver aux deux partenaires d'avoir envie d'un peu de "fantaisie".

Nous sommes restées longtemps à discuter sur ce banc, partageant ses cigarettes comme si c'était la chose la plus naturelle du monde, ne faisant pas attention aux passants qui déambulaient, et à la nuit qui était tombée.

Quand je suis rentrée chez moi ce soir-là, j'étais trempée, je sentais le tabac, et mon regard avait gagné une dureté et une froideur qui n'y existaient pas avant, ainsi qu'un trait de kôhl noir à l'intérieur des paupières. Mes parents m'attendaient dans le salon. Ma mère avait remis son uniforme propret de femme d'intérieur. Mon père son costume trois pièces. Tout était revenu à la normale.

Je leur ai dit avoir traîné avec Christelle dans le parc, que nous avions été ensuite chez elle faire un devoir de maths, puis que j'étais rentrée à la maison à pied sous la pluie, et que j'avais oublié mon parapluie chez Christelle mais m'en étais rendue compte trop tard pour faire demi-tour. Je me suis excusée, leur disant qu'il me fallait prendre une douche avant le dîner, et suis partie vers la salle de bain en laissant des marques humides sur le parquet en bois tout le long du chemin.

Arrivée dans la salle de bain, j'ai verrouillé la porte et ai mis l'eau chaude à couler. J'ai enlevé un à un les vêtements détrempés qui collaient à ma peau. Quand je me suis retrouvée nue devant les miroirs, j'ai levé les yeux sur mon reflet. Je me suis sourit, et me suis dit que oui, rien n'avait changé.

Rien, à part ce vent de révolte qui commençait à souffler en moi; pour l'instant simple brise mais qui se déchaînerait bientôt, tel un ouragan qui emporterait avec lui la petite fille que j'étais.

Rien, à part que ce soir-là, je suis entrée de plein pied dans l'adolescence.

 

Sans_titre_1

 

PS: à chaque fois que je lis ce mec, je me dis que je sais pas écrire, c'est terrible !

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Commentaires
N
Mmh<br /> C'est en dents de scie.<br /> Globalement je vais bien mais j'ai l'air déprimée. La fatigue, sans doute (l'excuse que je sors depuis 5 ans, en fait)<br /> Trop de choses en même temps, aussi.<br /> <br /> Je t'embrasse
A
+1 !<br /> N'empêche que... Moi? Publiée?<br /> Je me gausse !<br /> Sur ce, une bonne nuitée à vous.
C
vous continuiez cette charmante histoire ?? ... Ce serait un plaisir que de vous lire encore et qui sait, de voir, un jour, votre nouvelle publiée ?
A
En fait, je l'ai pensé en ayant l'idée d'en faire une vraie nouvelle (un vrai roman?). Peut être que je continuerai plus tard. Faut voir.<br /> Ca n'a pas l'air d'aller, toi...
N
J'avais envie de savoir la fin ...<br /> C'est très bien écrit
Chez Absentminded, pour ceux qui ne sont pas toujours là...
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