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Chez Absentminded, pour ceux qui ne sont pas toujours là...
28 octobre 2009

Pony Pony Run Run - Hey you

 

"Paris, c'est toi la Butte"

Partie I

- Partie II -

 

La transformation fut progressive. Non seulement je ne voulais pas que mes parents aient conscience de ce changement, mais cette transformation m'était tellement personnelle, elle résultait d'une telle remise en question de mon éducation, de tous les principes sur lesquels étaient fondée ma personnalité, que je la gardais tout d'abord pour moi. Le seul signe en transparaissant était le trait noir charbon qui ourlait désormais mes yeux, de jour comme de nuit.

A l'école, peu de choses avaient changé, en apparence. J'étais toujours une élève sérieuse et studieuse , appliquée, qui savait poser les bonnes questions et qui s'intéressait à ce qui était dit. D'apparence renfermée, taciturne et silencieuse. Mais à l'intérieur, ça bouillonnait. Les cours, je les passais en réflexions sur les livres que je dévorais la nuit venue. Je lisais tout. Et chaque oeuvre amenait son lot de nouveaux ouvrages à lire de toute urgence. Une envie de connaissance insatiable me prenait. Je dévorais par le menu tout ce que je pouvais emprunter à la bibliothèque de mon quartier : Hell, de Lolita Pille. Le livre du rire et de l'oubli, de Milan Kundera. Farenheit 451, de Ray Bradbury. La théorie de l'évolution, de Charles Darwin.  Le livre rouge du communisme. 1984, de Georges Orwell. L'avare, de Molière. Roméo et Juliette, de William Shakespeare.  Je suis une école, de Boris Charmatz. Je voulais tout lire, tout comprendre. Je lisais les préceptes de la religion catholique, les livres de prêtres destitués. Je relisais la Bible, m'intéressait au Coran, mais aussi aux sciences occultes. Je passais du coq à l'âne et cela me convenait parfaitement.

En moi s'opérait une véritable révolution intellectuelle. Tel un peuple qui, des années après un autodafé, réapprend à lire, à écrire, et à penser, je m'ouvrais à toutes les cultures. J'ingérais de telles quantités de pensées, ma réflexion se basait sur une matière si vaste et si dense que je noircissais des pages et des pages de remarques, de schémas et de plans. Certes, une grande partie de ces remarques avaient déjà été faites, mes réflexions étaient vues et revues, mes idées n'avaient rien de révolutionnaire. Mais en moi se rejouait l'histoire de la pensée contemporaine. Mes lectures se faisaient dans le désordre, mais sur ce socle disparate naissait une nouvelle identité qui était la mienne.

Lors des courts répits que je m'autorisais, lors de ces instants où je laissais mes réflexions transparaître, je me laissais aller à dessiner le monde tel que je le voyais : certaines personnes étaient belles, harmonieuses, lumineuses, et semblaient heureuses, dessinées de la pointe du crayon, avec des traits fins, légers; mais d'autres étaient sombres et torturées, leur visage un masque de haine et de violence, les traits esquissés étaient durs et inébranlables, la mine fichée profondément dans la feuille faisait parfois des trous dans le mince papier de mon carnet.

Lorsque ma soif de connaissances fut relativement assouvie, lorsque les livres eurent répondu à certaines de mes questions, en en laissant d'autres en suspens, ma foi en la religion catholique était totalement ébranlée, et toutes mes convictions transfigurées. L'avortement, loin de l'acte du malin dépeint par mes parents, était devenu pour moi un processus logique de l'évolution scientifique et intellectuelle de l'être humain. Le sexe avant le mariage, un mal nécessaire pour calmer les penchants naturels peu reluisants des humains. Le capitalisme, une hérésie, un oubli de ce qu'est le partage, un procédé barbare permettant de se débarrasser des seules personnes capables de faire changer les choses, c'est-à-dire les artistes, les penseurs...

Suite à ces prises de conscience successives, les bénédicités avant le repas devinrent pour moi un moment de profond dégoût envers ma famille. Les messes m'étaient devenues insupportables, et bientôt je m'arrangeais pour être exemptée de ces formalités, feignant un mal imaginaire qui me terrassait le dimanche matin et me clouait au lit. Malgré les semonces de la Mère de famille, il m'était impossible, tant la fièvre était intense, de m'extirper de mon lit de douleur avant qu'ils ne fussent tous partis pour l'église.

Et puis, fatalement, j'ai commencé à sortir. La nuit, après le coucher de mes parents, je filais par ma fenêtre, j'avais réussi à investir dans une échelle souple suffisamment longue pour me permettre d'atteindre le sol de la cour pavée derrière notre immeuble, et qui me laissait aussi la possibilité de remonter dans ma chambre au petit matin. Je me mis à arpenter avec assiduité les forums littéraires de la capitale, où je buvais un whisky on the rocks en écoutant l'orateur du soir nous exposer son point de vue sur un sujet lui tenant à coeur. Très vite, ces soirées me gonflèrent, car non contents de bien souvent raconter des inepties, les orateurs se permettaient d'être imbus de leur personne et imperméables aux critiques, quoique avilis aux éloges.

Je me suis alors de nouveau rapprochée de Christelle, cette amie qui s'avérait encore et toujours de bon conseil, avec laquelle j'avais eu quelques longues discussions sur des sujets profonds lors d'heures de permanence. Celle-ci fit rugir en moi la lionne en cage que mes parents avaient domptée jusqu'à en faire un petit chaton ronronnant, que mes heures studieuses avaient peu à peu frustrée, et que les heures de la nuit faisaient onduler telle une chatte sur un toit brûlant : Christelle me sortit en boîte de nuit.

Habituée de ce milieu de la nuit, Christelle l'était. Elle me fit entrer dans un des bars les plus selects de la capitale, et à l'aide de mon expérience relativement récente de ce monde, je me fis vite intégrer, et me mis à onduler du bassin sur la piste de danse aux côtés de célébrités désireuses de s'encanailler, avec un groupe  d'adolescents, étoiles montantes de l'électro, jouant dans un coin de la boîte une musique plus ou moins mielleuse, qui semblait plaire aux plus jeunes demoiselles de l'assemblée.

Je suis sortie de là, passablement ivre, au bras d'un charmant garçon aux cheveux blonds décoiffés qui lui tombaient sur le visage, qui s'amusait à souffler dans mon cou pour faire voleter mes longues boucles.  Tout au long de la soirée, nous avions échangé des avis sur tout et n'importe quoi, des livres que j'avais lus récemment aux derniers films sortis au cinéma, de la situation dans le Tiers-Monde aux meilleures chansons que l'on connaissait. Nous avons parlé écologie et éducation. Musique et mariage. Sexualité et symbolisme. Politique et pragmatisme. Nous avons comparé Raimbaud à Baudelaire, Christopher Paolini à J.R.R Tolkien. Nous avons parlé longuement, dansé beaucoup, et je me refusais à le quitter, malgré le froid de cette nuit d'hiver. Ses yeux bleus pétillants me fixaient amoureusement, et ses lèvres pleines se rapprochèrent des miennes jusqu'à les effleurer.

"Viens chez moi". Ces trois mots, soufflés du bout des lèvres contre mon oreille, me firent frissoner de la tête aux pieds. Il saisit ma main et m'entraîna dans les ruelles pavées du vieux Paris, me montra le chemin en laissant son pouce tracer des cercles sur la paume de ma main. Arrivés devant chez lui, il posa son dos contre la porte cochère de son immeuble et m'attira à lui. Je me blotis dans ses bras et respirais encore son parfum lorsqu'il poussa la porte et m'entraîna doucement à sa suite...

J'en suis ressortie au petit matin, mon trait de crayon avait coulé, mes cheveux étaient emmêlés, mes vêtements sentaient le tabac, mes muscles étaient endoloris. "Il est cinq heures, Angie s'éveille" chantonnais-je en suivant le dédale de rues qui me menait chez moi. Comme le disait la chanson, la ville s'extirpait doucement des abîmes du sommeil: les éboueurs passaient dans les rues, les balayeurs balayaient, les premiers travailleurs se rendaient à la station de métro la plus proche, et les derniers fêtards rentraient chez eux se coucher, titubant dans le jour naissant.

Lorsque j'arrivais dans la cour de mon immeuble, je fus soulagée de voir que mon échelle n'avait pas bougé, et qu'aucune des fenêtres environnantes n'était éclairée. Je remontais à la hâte, rangeait l'échelle dans son compartiment spécial, et lorsque je fus sous la couette, déshabillée et débarbouillée, je sortis mon portable de la poche de mon jean récemment acquis et envoyai un message au charmant jeune homme qui avait partagé ma nuit.

"Ce fut une rencontre merveilleuse." furent les seuls mots qui me semblèrent adaptés. Je sélectionnais le destinataire, "Petit blond", et appuyais sur "envoyer".

En recevant l'accusé de réception, mon esprit embrumé se dit que l'humanité n'était pas foutue puisqu'il restait l'amour.

sft

 


NB: Je l'aime bien cette gamine, je crois que je vais continuer c't'histoire au final. Enfin, je dis ça, je dis rien.

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Commentaires
C
Oui ... ne dites rien mais continuez ! :-)
N
J'l'aime bien aussi, j'attends la suite ...<br /> <br /> Et sinon, rapport au titre : j'ai chopé les deux dernières places à 5€ pour Pony Pony Run Run ! (Oui, j'suis contente)
Chez Absentminded, pour ceux qui ne sont pas toujours là...
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