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Chez Absentminded, pour ceux qui ne sont pas toujours là...
1 juin 2009

Linkin Park - My December

Papa a dit "il n'a pas souffert". En effet, non. Mon frère est mort à 3 mois, une mononucléose fulgurante. Il a à peine eu le temps d'ouvrir les yeux sur le monde qui l'entoure. Les contours n'étaient même pas encore devenus nets, il voyait le monde comme un brouillard bariolé quand il est mort. Oui, il n'a pas souffert. Il n'a même pas eu le temps de savoir ce qu'était la douleur quand la maladie l'a emporté.
Je me souviens de ses derniers jours. Il tremblait tout le temps, même quand il dormait. Quand il ouvrait les yeux, on pouvait y lire une telle douleur qu'on avait envie de le tuer tout de suite, pour que cela cesse. Il fixait son regard sur moi, il fronçait les sourcils comme s'il ne comprenait pas, essayait de lever ses petits bras aux doigts tout recroquevillés vers moi, mais on sentait bien que c'était trop lourd pour lui. Que ses bras ne lui répondaient plus. Et la main retombait, inerte, sur le matelas de bébé blanc, avec de fines rayures bleu pâle. Et il fermait les yeux, les sourcils toujours froncés, et se rendormait, exténué par tant d'efforts.
Je me souviens de tout, dans les moindres détails. Surtout le moment où il est mort. J'étais à côté de lui, je tenais ses petits doigts boudinés dans ma main. Ca faisait quelques jours déjà que je ne faisais plus rien que rester à ses côtés, à le regarder s'affaiblir. A le regarder mourir. Je passais mes journées à dormir près de lui. Et mes nuits... Je les passais penchée au-dessus de son berceau. Je lui chantais de jolies chansons, des berceuses toutes douces, avec des airs qui ne blessent pas. Je regardai la lumière de la lune se refléter dans ses cheveux noir corbeau. Je le regardais, et je le trouvais si beau.
Et puis il est parti. Comme ça, dans son sommeil. Un instant son souffle était presque continu. L'instant d'après il ne respirait plus. J'ai posé ma main sur son front, il était en sueur, encore chaud. Alors je l'ai pris dans mes bras et je l'ai bercé. J'ai continué à lui chanter des chansons. Je lui murmurai quelques mots réconfortants entre deux airs. Des mots comme "espoir", "couleurs", "herbes folles", "tournesol".
Pendant tout ce temps, jusqu'au matin, j'ai pleuré doucement, comme pour ne pas le réveiller.
Au petit matin, quand papa est entré dans la chambre et qu'il m'a trouvée, avec mes trainées salées sur les joues et mon frère cadet tout froid dans mes bras, il s'est effondré. Il est tombé, le dos contre le chambranle de la porte, et a mis sa tête dans ses mains avant d'oser lâcher tous les sanglots refoulés. Ca faisait longtemps qu'il avait cessé de pleurer.
Ce n'est que de longues minutes plus tard que ma mère est entrée à son tour dans la chambre. Elle nous a vus, tous les trois, et elle est venue serrer ma tête dans ses bras. Elle a versé une larme puis a dit "enfin, c'est fini".
Papa m'a dit "il n'a pas souffert". Et je le crois. Mais moi, moi... Quand ils ont essayé de l'arracher de mes bras, j'ai hurlé. J'ai crié, tempêté, pleuré, juré. Je les ai traités de tous les noms.
Parce que, voyez-vous, c'est mon corps qui maintenait un peu de chaleur dans le sien. Je ne pouvais pas le lâcher. Ca voudrait dire que c'était fini. Que ce petit être, qui n'avait pas eu le temps de découvrir quoi que ce soit, n'aurait jamais l'occasion de goûter les embruns sur ses lèvres. Qui ne sentirait jamais la bise et le vent chaud sur sa peau. Qui ne sentirait jamais sa peau se gorger de soleil. Qui n'aurait jamais aucune idée du goût de l'orage qui approche, de son odeur, de cette sensation sur la peau. "Ce n'est pas possible vous comprenez? Pas possible!"
Et puis, je me suis calmée. Je me suis résignée. Ils l'ont emporté.
Ils l'ont brulé.
Ils ont fait un petit tas, vraiment minuscule, avec ses cendres, et ils les ont dispersées au pied du pin maritime qu'ils avaient planté pour sa naissance. Et moi je restais là, abasourdie, pleurant sur mon petit frère que je n'avais pas eu le temps de connaître. Je laissais couler le flot de larmes silencieuses, parce que je savais que si je tentais de l'endiguer, je serais emporter par la marée comme une coquille de noix ballotée sur les vagues de chagrin.
Et alors, quand la cérémonie a été finie, quand le deuil a été fini, quand ils ont cessé de penser à lui et sont retournés à leur petites vies, moi j'ai été lui apprendre des choses. Toutes les nuits je m'enfuyais, telle Andromaque dans les rues de sa cités et dans les champs de blés. J'allais au fond du jardin, devant le sapin, et je racontais tout à mon petit frère. Je lui parlais du vent et de la mer, qu'il n'avait fait qu'appercevoir lors de sa courte existence. Je lui racontais comment on se sentait sur un bateau. Je lui décrivais le cri des mouettes. Je lui parlai de ce que ça fait, les herbes qui te chatouillent le dos quand tu es allongé au soleil. Je lui racontai toutes ces petites choses de la vie. Le goût du beurre salé, l'odeur de la tarte au pomme qui cuit dans le four, le piquant du dentifrice à la menthe, la douceur d'une main aimée dans la nuque. Je lui racontais même des choses dont j'étais ravie qu'il n'ait pas fait l'expérience. Les déceptions sentimentales. Le coeur brisé. L'envie de s'enfoncer six pieds sous terre. Les engueulades des parents, depuis qu'il était mort. Les moments où ils fixaient le vide et se souvenaient. La douleur des orties sur les mains. Les petits graviers qui font mal aux pieds quand on marche sans chaussures sur la route. Je lui disais tout. Le goût de l'alcool, l'ivresse. Les lendemains de cuite. Les premières fois réussies. Les première fois ratées. Toutes les premières fois. Le premier baiser. Le premier câlin. La première engueulade. Les premières larmes. La première rupture. Et puis aussi la première fois qu'on se remet.
Je laissais couler le flot de paroles. Je ne lui laissais pas le temps de répondre, parce que je suis sûre qu'il aurait essayé, avec ses gazouillis d'enfant heureux.
Et puis, au bout d'un an, je suis venue moins souvent. D'abord un jour sur deux, puis un jour sur trois. Une fois par semaine. Une fois de temps en temps. Une fois par an. Tous les 1er juin je reviens devant le sapin qui a bien grandi. J'ai bien grandi moi aussi. Je suis maintenant une adulte, je suis enceinte de mon premier enfant, et j'espère qu'il ressemblera un peu à mon frère que je n'ai que peu connu. Cette fois-ci, cette année, quand je lui ai rendu visite, je n'ai rien dit. A peine un bonjour. Je me suis allongée, au milieu de la nuit, sous le grand pin majestueux. Sur le lit d'épines vertes et odorantes. J'ai laissé mon gros ventre sortir de mon tee-shirt, s'exposer à la lumière de la lune à moitié pleine. J'ai posé mes deux mains sur les épines, et je lui ai juste demandé de lui parler, au petit être qui était en moi.
C'est alors qu'avec une intensité accrue, j'ai entendu tous les mots qu'il ne prononçait pas. J'entendais le bruit du vent dans les branches de son pin merveilleux. J'entendais le bruit des vagues, le cri des mouettes, les hurlements de joie des enfants en été, à la plage. Je sentais le sel sur mes lèvres, le soleil sur ma peau, le goût de l'orage qui approche. Il m'a tout rendu, tout ce que je lui avais appris. Et mon fils, à l'intérieur de moi, écoutait tout, ressentait tout. Et je le sentais qui souriait au plus profond de mon ventre. Alors je su qu'il serait comme mon défunt frère. Je su que quoi que je fasse, peu importe la mauvaise éducation que je lui donnerai, il serait le plus adorable des garçons.
Quand le soleil a commencé à poindre à l'horizon, j'ai redescendu mon tee shirt et je me suis relevée. J'ai entouré l'arbre de mes bras, et j'ai laissé une larme couler sur ma joue, rouler sur son tronc et s'écraser au sol, à ses pieds. J'ai posé ma main sur son écorce, je lui ai sourit, je lui ai dit "au revoir, adieu, mon petit frère bien aimé". Et puis je suis retournée dans mon lit d'enfant, sous l'édredon de plumes où mon mari dormait paisiblement. Je me suis pelotonnée contre lui et ai regardé par le velux. Je vis les étoiles clignoter doucement, et je su alors que c'était mon frère qui me disait "ne t'inquiètes pas, tout ira bien". Et je m'endormis, le visage baigné de larmes et le sourire aux lèvres. Parce que je savais que je pouvais lui faire confiance...

echographie

PS: Comme presque tous les textes de la catégorie "j'écris", c'est pas la réalité. C'est quand j'écris vraiment...

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Commentaires
L
Je suis passé en coup de vent sur tes lignes, mais je reviendrai m'y perdre prochainement.<br /> <br /> A bientôt et merci.
J
Je perds tous mes mots quand toi tu les trouves et les accordent aussi bien. Je me suis plongée dans cette histoire, me contrôlant quand mes yeux se sont embués, à plusieurs reprises. Je me suis plongée dans cette histoire en étant persuadée que c'est ton histoire, jusqu'à la fin où j'ai fini par réellement me poser la question.<br /> J'ai eu l'envie d'être là, en chair et en os, et de te souffler les mots de réconfort qui ne sont rien mais qui pansent un peu la solitude avec laquelle on s'habille dans ces situations.<br /> Je t'envoie de doux baisers, Clo, faute de pouvoir le faire en vrai.
A
c'est tellement beau, Clo, j'en ai des frissons partout. C'est merveilleusement bien écrit, waoh quelle émotion !
H
Juste magnifique. Bravo.
N
C'est juste absolument magnifique.<br /> Et tu m'arraches des larmes dès le réveil ...<br /> <br /> Je t'embrasse aussi fort.
Chez Absentminded, pour ceux qui ne sont pas toujours là...
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